CfP: 4th International Workshop on Historical Epistemology (Paris, 24-26 May 2017)
L’épistémologie historique et les désunités des sciences.
Historical epistemology and the disunities of the sciences
Paris, 24-26 mai 2018. École doctorale de Philosophie ED 280. Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Confirmed Keynotes :
Stéphanie
Ruphy (Lyon 3, Fr)
Léna Soler (Lorraine, Fr)
[ENGLISH BELOW]
A l’échelle
internationale, la seconde moitié du XXe siècle a vu émerger différentes
tentatives pour penser la « désunité » des sciences. Celles-ci se
sont constituées en réponse au monisme méthodologique issu du Cercle de Vienne,
stipulant l’unité de la science et donc la validité du projet d’une philosophie
de « la » science. Ainsi, dès la fin des années 1960, la philosophie
de la biologie a voulu affirmer la spécificité des sciences du vivant et donc
l’obligation de se départir des canons de la philosophie de la physique. Au
cours de la décennie suivante, on constate l’institutionnalisation de plusieurs
philosophies « des sciences spéciales » : de la biologie, de la
géographie, de la médecine, etc. Bien que ces différentes philosophies soient
aussi pensées comme des sous-disciplines d’une philosophie générale de la
science ou des sciences, cette spécialisation vient mettre à mal la longue
tradition d’affirmation de l’unité de la science fondée sur un réductionnisme
physico-chimique.
Pour autant, l’idéal positiviste de clarification
conceptuelle et de purification du langage demeure souvent central pour ces
nouvelles philosophies. Ce qu’elles contestent au premier chef est donc le
« dogme » de l’unité de la science, et non nécessairement la
méthodologie positiviste. Parmi ces critiques, on peut rappeler, entre autres,
Paul Feyerabend, Jerry Fodor et le groupe de la « Stanford School »
(Nancy Cartwright, John Dupré, Peter Galison, Patrick Suppes et Ian Hacking).
Tous soulignent le caractère social et culturel des sciences ainsi que
l’importance de l’histoire des sciences pour l’élaboration d’une image moins
abstraite et idéalisée de la pratique scientifique. La critique de l’unité de
la science a conduit à la révision de certains concepts fondamentaux et
traditionnels de l'épistémologie, au premier rang desquels celui de
« méthode » (Feyerabend 1975) auquel ces auteurs préfèrent des concepts
soulignant le pluralisme des sciences comme celui de « style de raisonnement
scientifique » (Crombie 1994 ; Hacking 1982, 1992).
La question des modalités philosophiques de la « désunité » de la science
se pose ainsi au cœur de la réflexion épistémologique la plus actuelle. Elle
s’est accompagnée de l’essor de nouvelles catégories, comme celle de
pluralisme, qui visent le même rejet du monisme méthodologique. Le pluralisme –
c’est-à-dire l’affirmation de la coexistence de plusieurs systèmes de
connaissance à l’intérieur d’un même domaine de recherche – est un concept qui
occupe aujourd’hui une place centrale dans les discussions philosophiques
anglophones (voir le volume collectif édité par P. Galison et D. J.
Stump, The Disunity of Science, 1995, et les travaux plus récents de A.
Arana, « Purity of Methods », 2011 ; H. Chang, Is Water
H20. Evidence, Realism and Pluralism, 2012 ; S. Ruphy, Scientific
pluralism reconsidered. A New Approach to the (Dis)Unity of Science, 2016; L.
Soler, E. Trizio & A. Pickering (eds.), Science as it Could Have Been.
Discussing the Contingency / Inevitability Problem, 2015).
Le retour sur le devant de la scène de la désunité de la
science ne doit cependant pas masquer le fait que la tradition plus typiquement
française de l’épistémologie historique s’était elle-même déjà emparée de cette
question, et avait, de longue date, produit un certain nombre d’arguments
soutenant une telle désunité. Déjà Auguste Comte, qui est aux origines de la
tradition de l'épistémologie historique française, proposait dans son Cours
de philosophie positive une subdivision des sciences fondée sur leurs
objets et leurs méthodes, conçus comme irréductibles d’une science à l’autre.
La pluralité des sources de la connaissance scientifique est donc un des traits
caractéristiques du système de Comte (R. Scharff 1995 ; J.-F. Braunstein 2009),
solidaire de sa volonté d’asseoir l’étude philosophique des sciences sur leur
histoire.
Plus près de nous, le concept de pluralisme fait écho, dans
des proportions qu’il s’agira de discuter, au régionalisme revendiqué dès
l’entre-deux-guerres par des philosophes comme Gaston Bachelard. Pour Bachelard
il ne s’agit pas seulement d’affirmer une pluralité de méthodes, mais plus
fondamentalement encore de reconnaître la spécificité des valeurs rationnelles
propres à chaque domaine ou région scientifique. En ce sens, la raison
s’organise et s’applique différemment selon le domaine matériel où elle s’exerce,
sans quoi un progrès rationnel serait inconcevable.
Ce concept de régionalisme est demeuré pleinement opératoire
au sein de l’épistémologie de Canguilhem, celui-ci affirmant qu’on ne peut
« parler de science au singulier [que] comme phénomène de culture »
(Canguilhem 1965). Dans un entretien avec Alain Badiou, Canguilhem a aussi
indiqué une différence entre l’épistémologie (au sens « français »)
et la philosophie des sciences : la philosophie des sciences est l’équivalent
de la Wissenschaftslehre et son objectif est « l’unification du
savoir, au moins par sa méthode », alors que l’épistémologie est une « étude
spéciale ou régionale ».
Ainsi, la désunité des sciences a donc
été pensée, semble-t-il indépendamment, dans au moins deux contextes philosophiques
sensiblement différents : celui de la critique du positivisme dans le
monde anglo-saxon et celui de l’épistémologie historique en France. Le projet
de ces journées est avant tout de confronter ces désunités afin de saisir
si leur rapprochement ou leur mise en correspondance pourrait aider d’une part
à mieux les caractériser et d’autre part à faire émerger des voies de recherche
inédites.
La thématique de la désunité est une thématique transversale, qui doit
permettre le dialogue entre chercheurs aux options méthodologiques variées et
travaillant sur des domaines scientifiques les plus divers (physique, chimie,
biologie, psychologie, mathématiques, etc.). Nous attendons donc d’abord des
communications travaillant la question de la désunité sur la base d’exemples
précis et de cas concrets mobilisant le spectre le plus large possible des
régions du savoir. Nous souhaitons également recevoir des propositions portant
sur l’histoire des conceptions du pluralisme et du régionalisme. Enfin, une
attention particulière sera donnée aux interventions qui proposent de discuter
l’originalité de l’épistémologie historique vis-à-vis d’autres approches
méthodologiques d’étude des sciences qui mettent au premier plan leur désunité.
Les
propositions d’interventions (max 500 mots, plus une courte présentation du
candidat) sont à nous faire parvenir, avant le 12 février 2018 (date
de réponse le 1 mars), en format word ou pdf à epistemologiehistorique@gmail.com.
Les deux langues des Journées seront le français et l’anglais.
[ENGLISH VERSION]
The second-half of
the twentieth century saw the emergence of various attempts at thinking the
“disunity” of the sciences. They appeared as a reaction against the
methodological monism fostered by the Vienna Circle that promoted the unity of
science and therefore the validity of the project of a singular philosophy of
science. Hence, from the end of the 1960s, the philosophy of biology affirmed
the specificity of the living and, as a consequence, the obligation to move
away from the standards of the philosophy of physics. In the following decade,
there was an institutionalization of various philosophies of « the special
sciences»: of biology, of geography, of medicine etc. Although these different
philosophies are often seen as sub-disciplines of a general philosophy of
science, this specialization also presented a challenge to the long tradition
of affirming the unity of science based on physical-chemical reductionism.
Nevertheless, the positivist ideals of conceptual
clarification and the purification of language are still central for these new
philosophies. What is being criticized is therefore the “dogma” of the unity of
science, not necessarily the positivist methodology. Among these criticisms,
one can think of Paul Feyerabend, Jerry Fodor and the group of the so called
“Stanford School” in philosophy of science (Nancy Cartwright, John Dupré, Peter
Galison, Patrick Suppes and Ian Hacking), just to name a few. These critics
emphasized the cultural and social aspects of the sciences and the importance of
the history of science for the construction of a more elaborated and less
abstract image of scientific practice. By criticizing the project of the unity
of science, these authors have reworked some of the most central and
traditional concepts of epistemology, such as that of “method” (Feyerabend
1975), thus coming to elaborate other concepts, such as that of “styles of
scientific reasoning” (Crombie 1994; Hacking 1982, 1992), ultimately
highlighting the pluralism of the sciences.
The question of the philosophical modalities of the disunity of science stands
nowadays at the heart of the most recent epistemological reflections. This
leads to the mobilizing of other categories, such as that of pluralism and
regionalism, aiming at the same refusal of methodological monism. Pluralism, or
the coexistence of various systems of knowledge within a given research domain,
is a concept which currently holds a central place in Anglophone philosophical
discussions (see the volume edited by P. Galison – D. J. Stump The
Disunity of Science, 1995 and the most recent works of A. Arana, « Purity
of Methods », 2011; H. Chang, Is Water H20. Evidence, Realism
and Pluralism, 2012; S. Ruphy, Scientific pluralism reconsidered. A New
Approach to the (Dis)Unity of Science, 2016; L. Soler, E. Trizio & A.
Pickering (eds.), Science as it Could Have Been. Discussing the
Contingency / Inevitability Problem, 2015).
This renewed centrality of the disunity of science should
nevertheless not hide the fact that the “French” tradition of historical
epistemology had already addressed this question and has produced various
arguments, some of which are rather old, to support the disunity of science.
Already Auguste Comte, who is at the origin of the French “tradition” of
historical epistemology, proposed in his Cours de philosophie positive a
subdivision of the sciences on the basis of their objects and their methods,
fundamentally differing from one science to the other. According to Comte, a
sharp dividing line runs between the sciences of brute facts and the sciences
of organized facts. Similarly, each science has its own particular object of
study that is approached with a method fitting that object. The plurality of
the sources of scientific knowledge is therefore one of the defining traits of
Comte’s post-positivism (R. Scharff 1995; Braunstein 2009), coupled with his
attempt to base a philosophical study of the sciences upon their history.
The present workshop will discuss the extent to which, in
more recent times, the concept of pluralism can be said to be echoed by the
regionalism claimed in the interwar period by such philosophers as Gaston
Bachelard. For Bachelard, it is not just a matter of affirming the plurality of
the methods of inquiry, but also of acknowledging the specificity of the
rational values characterizing each scientific domain. In this sense, reason
organizes and applies itself differently according to the material domain where
it is exerted; otherwise there would be no rational understanding of progress.
This concept of regionalism remained operative in the
epistemology of Georges Canguilhem, according to whom “one can talk of science
in the singular [only] as a cultural phenomenon” (Canguilhem 1965). In an
interview with Alain Badiou, Canguilhem also underlined the difference between
epistemology (in the French sense) and the philosophy of the sciences: whereas
this latter is the equivalent of the Wissenschaftslehre and its aim
is the “unification of knowledge, at least by its method”, epistemology is a
“special or regional study”.
The problem of the disunity of the sciences has therefore been articulated in
at least two sensibly different philosophical contexts: the anti-positivistic
backlash started in the 1960s in the Anglo-Saxon world, and the tradition of
historical epistemology which played a central role in France until the 1980s.
The project of this workshop is in the first place that of comparing these two
different ways of conceptualizing/coming to terms with the disunity thesis with
the aim of assessing whether their proximity or their distance could help, on
the one hand, to characterize them better and, on the other hand, to make novel
research paths possible.
The theme of disunity is a transversal one that facilitates dialogue among
researchers with different methodological backgrounds, working on very
different scientific domains (physics, chemistry, biology, psychology,
mathematics, etc.). We thus expect proposals rethinking the question of
disunity on the basis of precise examples and of concrete case studies,
mobilizing the largest possible spectrum of regions of knowledge. We also
expect proposals on the history of the conceptions of pluralism and
regionalism. Finally, particular attention will be given to those proposals
investigating the originality of historical epistemology with respect to other
methodological approaches also focusing on the disunity of the sciences.
Proposals
(500 words plus a short presentation of the candidate) must be sent by
2018 February 12 (notification of acceptance or refusal by March 1st),
in word or pdf formats, toepistemologiehistorique@gmail.com.
Proposals by graduate students and early career researchers will be privileged.
The languages of the workshop will be French and English.
Comité d’organisation
Matteo Vagelli, Ivan Moya Diez, Laurent Loison
(coordinateurs) ;
Marcos Camolezi, Wenbo Liang, Gabriele Vissio.
Comité Scientifique
Christian Bonnet, Professeur, CHSPM Paris 1
Jean-François Braunstein, Professeur, PhiCo Paris 1
Cristina Chimisso, Professeur, Open University, UK
Arnold I. Davidson, Professeur, Université de Chicago
Moritz Epple, Professeur, Université de Francfort
Pierre Wagner, Professeur, IHPST Paris 1
Dates importantes
Limite de proposition d’interventions : 12 février 2018
Réponses : 1 mars 2018
Journées d’étude : 24-25-26 mai 2018